Lors
d’un dîner avec des collègues, nous avons débattu
au sujet de l’origine de la crise financière actuelle.
D’un côté, un groupe de commensaux, dont je faisais
partie, pointait du doigt les mauvaises pratiques des banques commerciales en
matière de gestion du risque et de réduction de leurs bilans.
Ces pratiques associées à un manque de préparation,
volontaire ou non, des opérateurs des marchés
dérivés auraient rendu difficile la liquidation des actifs
pourris et provoqué une détérioration de la situation
globale. D’un autre côté, l’autre groupe faisait
remarquer que ces mauvaises
pratiques ne pouvaient à elles-seules provoquer une crise
financière globale majeure. Pour eux, le problème majeur
était d’ordre institutionnel. L’État aurait
envoyé de mauvais signaux aux agents financiers, leur laissant croire
que les risques étaient plus faibles que ce qu’ils
étaient vraiment. L’État les aurait ainsi incités
à prendre davantage de risques.
Après
avoir digéré les idées du dîner, je suis
arrivé à la conclusion que les deux groupes avaient
partiellement raison. En effet, si l’un des arguments à lui seul
ne peut pas expliquer toute la crise, les deux arguments joints y
parviennent. Pour que l’aléa moral institutionnel soit effectivement un problème, il
faut, en effet, des agents qui montrent une certaine mauvaise foi par rapport
aux autres participants du système.
Nous verrons
dans cette série d’articles que s’il est vrai que les
banques ont pris plus des risques, elles l’ont fait tout en respectant
les règles imposées par les banques centrales et la BIS (Bank of International Settlements).
En effet, une bonne partie de cette prise de risque a été le
résultat direct de la règlementation étatique en place.
Dès la
fin des années 1970, la BIS avait remarqué que les banques
commerciales américaines et européennes prenaient trop des
risques. Autrement dit, les banques octroyaient trop de crédits par
rapport aux placements reçus en contrepartie. En outre, ces
crédits étaient souvent concédés à des
clients risqués. Les bilans bancaires étaient ainsi devenus
gonflés d’actifs obligataires de qualité douteuse, et
leur passif à court terme était principalement composé
de dépôts à vue exigibles à tout moment, faisant
donc peser sur les banques des risques d’illiquidité.
Cette
expansion de crédit se faisait dans le respect des banques en matière de réserves obligatoires
exigées par leurs banques centrales de tutelle – la FED pour une
banque américaine ou la Banque de France pour une banque
française. En réalité, on peut même dire que les
banques entament la décennie 1970 plutôt bien pourvues en
réserves.
La raison
d’une telle abondance de liquidité se trouve dans
l’abandon de l’étalon change or instauré en 1944
par les accords de Bretton Woods.
Selon ces accords, le Dollar restait la seule monnaie convertible en or
(parité fixe US$ 35 = 1 oz t d’or) tandis que les autres
monnaies étaient convertibles en Dollar à une parité
fixe également. Le maintien de ce système impliquait une
discipline monétaire stricte. Or, le gouvernement américain eut
recours massivement à la création de dollars pour financer ses guerres et plusieurs pays
européens y eurent aussi recours pour financer la reconstruction – le cas emblématique
étant la France du Commissariat Général au Plan dont les
plans quinquennaux étaient financés directement par le
Trésor.
Avec la chute
de la convertibilité, les billets en circulation deviennent de facto
de la monnaie. Les banques américaines et européennes en
possédant de grandes quantités se retrouvent ainsi avec des
bilans surchargés de liquidités dont le coût
d’opportunité est très élevé
puisqu’elles ne rapportent aucun intérêt. Or, dans nos
systèmes bancaires actuels, la détention de réserves
permet de multiplier les crédits, ce que ne manqueront pas de faire
les banques en question. Cependant, la stagnation économique qui
sévit dans les pays développés à cette
époque limite grandement les opportunités de profit dans le
secteur réel alors que le choc pétrolier et la rareté
relative du pétrole qui s’ensuit rendent extrêmement
attractive la spéculation sur les marchés financiers. .
Ironiquement,
l’expansion du crédit
bancaire rendue possible grâce à ces nouvelles
liquidités sera à la source même des risques d’illiquidité bancaire. Car si les produits de bonne
qualité existent, ils offrent rarement des rendements très
attrayants et supérieurs aux bons du trésor
(considérés comme les produits les plus sûrs par
excellence, un État ne faisant « jamais »
faillite). Du coup, les banques vont se tourner vers des produits de moindre
qualité mais à la rentabilité plus élevée.
Reste à comprendre comment les banques ont procédé
à la multiplication de crédits investis dans des actifs de
qualité douteuse tout en respectant les accords de Bâle.
À suivre, crédits
syndiqués, titrisation et l’arrivée de l’âge
du risque…
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