Partie
II
Les spécialistes
en économie bancaire ont pu constater que depuis au moins une vingtaine
d’années, les banques centrales passent rarement par les opérations
d’open market pour influencer les taux d’intérêt en vigueur sur les
marchés. Ces opérations, cas d’école préféré de la plupart des manuels
d’économie bancaire, sont plutôt des outils d’ajustement. De fait, la
détermination des taux d’intérêt par la BC ne se traduit pas nécessairement
par des injections ou retraits nets de monnaie dans l’économie. Car si le cas
d’école était vrai, il devait y avoir un mouvement toujours inverse entre les
taux d’intérêt et la demande de liquidités. Or, la réalité est toute autre.
Durant certaines périodes, la demande augmente avec des taux élevés et
inversement (voir les travaux de Claudio Borio et Piti Disyatat dans la BIS).
Comment
expliquer ce phénomène ? Comme n’importe quelle autre entreprise, une
banque juge inutile de détenir plus de liquidités que ce dont elle a besoin
pour assurer ses transactions quotidiennes. Garder des fonds de trésorerie en
réserve sans justification financière implique en un coût d’opportunité pour
l’entreprise, qu’elle soit une banque ou non. Ce coût est celui de rater un
investissement rentable, y compris à court terme. Par conséquent, les banques
ajuste leurs réserves de liquidités afin qu’elles soient tout juste
suffisantes pour honorer leurs transactions quotidiennes, ni plus ni
moins.
On aura
compris qu’une banque veut avoir assez de liquidités, car sans un minimum de
réserves, une banque pourrait faire défaut. Elle est donc prête à accepter
des coûts élevés pour avoir ce minimum de liquidités. On dit que sa demande
est assez inélastique pour ce montant minimal et le taux d’intérêt à payer
peut donc être élevé. Ce niveau de taux détermine le haut de la fourchette
des taux en vigueur pour se procurer des liquidités dans le marché et auprès
de la banque centrale. En bas de la fourchette se situe le taux directeur de
la banque centrale. Les taux pour se procurer des liquidités peuvent donc se
situer entre une fourchette allant de zéro au prix de réserve des banques
commerciales, et ceci pour un même niveau d’offre de liquidités.
Les taux
peuvent donc fluctuer et l’objectif de la banque centrale est que le taux
pratiqué sur le marché soit le plus proche de celui qu’elle fixe. Comment
procède-t-elle ? Elle utilise l’effet d’annonce. Elle annonce
cibler un taux d’intérêt donné (comme toujours, un taux de court terme). À ce
stade, elle n’a pas utilisé d’opération d’open market. Si le message de la
banque centrale est crédible – ce qui est généralement le cas, d’autant plus
qu’elle peut justement toujours recourir aux opérations d’open market pour
forcer sa politique de taux – alors les banques commerciales pratiqueront
entre elles un taux interbancaire assez proche de celui qui a été annoncé. En
cas d’impossibilité de refinancement auprès des consœurs sur le marché
interbancaire, une banque commerciale pourra recourir en fin de journée aux opérations
marginales de refinancement.
Les opérations
marginales de refinancement consistent généralement en des REPOs (accords
de rachat) de la banque centrale visant juste à offrir le minimum
nécessaire de liquidités aux banques commerciales afin qu’elles puissent
honorer leurs transactions quotidiennes, ni plus ni moins. Ces
opérations sont financées au taux marginal de refinancement,
légèrement plus élevé que le taux directeur de la banque centrale. Celui-ci
reste réservé aux opérations d’open market hebdomadaires (en Europe ;
aux États-Unis, l’intervalle peut être plus long). Les opérations marginales
de refinancement ont lieu quotidiennement.
Pour que le
taux du marché ne devienne pas inférieur au taux directeur, la banque
centrale doit s’assurer de ne pas offrir trop de liquidités qui seront sinon
échangées sur le marché interbancaire part les banques commerciales qui y
feront baisser le taux. Comme il est impossible de connaître à l’avance la
bonne quantité, la banque centrale recourt à des opérations de stérilisation
monétaire le cas échéant. Actuellement, les banques cenrales disposent de
deux outils de stérilisation : les dépôts bancaires rémunérés auprès de
la banque centrale et la vente d’actifs financiers.
Le premier
instrument consiste à offrir aux banques commerciales la possibilité de
garder leurs réserves excédentaires de liquidités sous la forme de dépôts
auprès de la banque centrale. Ces dépôts sont rémunérés par la banque
centrale à un taux égal ou inférieur au taux directeur. L’avantage de ces
dépôts à maturité fixe est qu’ils ne comportent aucun risque de défaut, contrairement
aux opérations de REPO interbancaires ou aux titres de dettes des marchés
monétaires et obligataires. En outre, ces dépôts peuvent être vendus à
l’escompte sur le marché monétaire.
Le deuxième instrument
de stérilisation consiste à vendre des actifs financiers détenus par la
banque centrale. Ce type d’instrument de stérilisation lui permet de
neutraliser tout excès d’offre monétaire de sa part. Malgré une manipulation
active des taux d’intérêt, la banque centrale peut arriver à maintenir
inchangé son bilan, de même que la base monétaire reste stable dans
l’économie.
Autrement dit,
une banque centrale crédible et disposant des instruments et des opérations
décrits ci-dessus peut bel et bien établir son taux directeur à un niveau
fixé dans une fourchette donnée sans pour autant avoir besoin de recourir à
l’introduction ou au retrait additionnels de liquidités dans l’économie.
En conclusion,
les banques centrales peuvent manipuler les taux d’intérêt sans que cette
manipulation résulte en une variation brutale de la base monétaire. Les
opérations d’open market qui visent à aller au-delà de l’ajustement de
réserves, consistent souvent en une démonstration de force de la banque
centrale face aux banques commerciales ou alors en un changement de
politique.
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