Il y a bien
longtemps, je me suis trouvé avec une voiture en panne, non loin de
Washington DC. Dans la station d’essence où nous avons
échoué, s’arrêtait au même moment un car. Vu
notre situation, nous avons poliment demandé s’il était
possible de nous ramener en ville ; réponse du conducteur
(après sondage express des voyageurs) : « They don’t want you. »
Le
politiquement correct n’était pas encore de mise à
l’époque (1990), mais toujours est-il que le car transportait
des Noirs membres de l’Eglise nommée « Sharing and Caring » : et il était clair que
cette devise n’était pas assez large pour nous accepter (une
Allemande, une Norvégienne et deux Suédois.)
Contemplons
maintenant le cas inverse. Un car rempli de Blancs, avec ou sans
église d’ailleurs, qui refuse de prendre des Noirs (ou
Asiatiques, Inuits …) dans le besoin. Que diraient Barack Obama ou d’autres militants ? « Yes,
we can but we won’t » ? Je l’ignore. Certes, nous
n’étions pas membres de la communauté en question (et potentiellement
descendants de propriétaires d’esclaves), mais même sans
croyance, on aurait pu penser qu’ils aient entendu parler de
charité, chrétienne ou autre.
Qu’importe :
la devise « sharing and caring »
a fait montre de ses limites, et cela a au moins le mérite de la
clarté. La discrimination, même irrationnelle, est une nécessité
quotidienne pour toute activité humaine, du moins à titre
privé.
Qu’est-ce
que discriminer ? Le mot signifie différencier, distinguer,
mettre à part. C’est faire un choix entre plusieurs options alternatives,
en établissant des priorités. Je préfère mes amis
à mes ennemis, la cuisine de ma belle-mère au McDonald’s,
etc. Par définition, un
choix en élimine ou en exclut d’autres (les économistes
appellent cela « coût
d’opportunité »). Ceci est une obligation pour tout
le monde, tous les jours; qu’il s’agisse de produits, de
services, d’amitiés ou de partenaires, faire des choix revient
par définition à une « discrimination »
(y compris avec certaines nuances).
Pour
l’anecdote, ma femme s’est vu opposer cette réponse
à une candidature d’embauche : « Nous voulons
une vraie Française ! » (Elle est Allemande, et elle a
répondu : « Je ne suis pas une fausse
Française. »).
On ne saurait quoi
répondre aux entreprises qui insistent pour intégrer de
« vrais Français » (ou de « vrais
Allemands », etc.) mais cela ne fait que refléter le repli
sur soi qui finira par plomber l’économie de tout pays imposant
de tels critères pour l’embauche, la production etc. Ainsi, une
entreprise qui fait le choix de la discrimination irrationnelle à ce
niveau n’ira pas bien loin (ou alors avec des quotas d’immigration
établis par les pouvoirs publics).
La
réponse sera toujours des quotas, des exceptions, bref des
réglementations supplémentaires. Et ensuite ?
Il est normal
et justifié qu’on impose des règles de neutralité
au niveau politique : l’égalité en droit est
fondamentale, qu’il s’agisse de droits civiques ou de
l’embauche dans le secteur public. En revanche, il est impossible de
réaliser un tel exploit dans le domaine privé (en supposant
évidemment que la sphère privée reste encore
protégée, ce qui est loin d’être certain).
Revenons au
car de l’église qui a fait le choix « discriminatoire »
de refuser de nous amener malgré sa devise d’amour
chrétien et de partage. Si tant est que la devise n’était
pas velléitaire, ils auraient dû s’arrêter pour
n’importe qui. Or, comme tout un chacun, ils avaient évidemment
aussi le droit de dire non.
Nier le
concept de discrimination revient à refuser la liberté de
choix, ou alors soutenir implicitement ceux qui cherchent à imposer
politiquement des quotas (raciaux, religieux, ethniques). Si tant est que
toute association privée est une aberration dans ce sens, il faudrait
logiquement statuer sur le droit des violeurs d’adhérer à
des associations de femmes battues, et ainsi de suite. À l’inverse,
il y a une contradiction fondamentale entre l’égalité des
chances et la discrimination positive.
À l’instar
des « paradis fiscaux », il s’agit là de
« paradis associatifs » qui depuis longtemps restent en
dehors du contrôle politique. Alors, pouvoir discriminatoire
privé ou pouvoir discrétionnaire politique ? La
réponse, in fine, pourrait déterminer en grande partie l’avenir
de la liberté au sein de la société civile.
|